1  CIMETIÈRE DE GARDEN PLACE - le matin du 27 décembre 2001  

Malgré le ciel sans nuages et le soleil de ce début d'après-midi qui brille de tout son éclat, le vent froid rafraîchit l'atmosphère. Blottie dans sa robe noire, Kelly est assise devant le cercueil, près à être mis en terre. Toujours aussi élégante, elle porte un voile noir, et personne ne peut voir son visage. Personne ne peut savoir ce qu'elle pense, en ce moment même. En face du cercueil, le révérend prononce les paroles d'usage.

 

A l'écart, Menley observe Kelly du coin de l'œil, songeant aux épreuves qu'endure son amie depuis quelques temps.

Kelly fixe du regard le cercueil. Elle n'éprouve aucune émotion particulière. C'est simplement des brides du passé qui lui reviennent en mémoire.

 

 

 

  GÉNÉRIQUE DE DÉBUT

 

 

 2  MAISON DES BURNSTEIN - la soirée du 18 juin 1976

Kelly a six ans. Seule dans sa chambre, elle joue avec sa poupée préférée, Miss Janice. La nuit commence à tomber.  Kelly pose sa poupée sur une petite chaise et tente désespérément de la faire manger. En bas, dans le living, papa et maman commencent à se disputer, comme souvent ces derniers temps. Kelly a mal à la tête, à force de les entendre crier. Elle aussi maintenant est en colère contre Miss Janice. Elle frappe la poupée. "Tu vas manger ce que je te donne… vilaine… vilaine… vilaine !". Elle frappe et frappe encore Janice. Elle finit par la prendre d'une main, et de l'autre elle lui tord le coup. Finalement, la poupée rend l'âme et se déchire en deux. Le mal de tête de Kelly amplifie. Elle lâche son jouet qui atterri sur la moquette, le corps d'un côté et la tête de l'autre.

Kelly veut savoir pourquoi papa et maman se disputent. Elle sort de la chambre et descend les escaliers. Elle se glisse derrière la porte du salon où sont ses parents. Maman semble vraiment en colère.

MAMAN :  Je veux récupérer ce qui m'appartient !

PAPA : Ce qui t'appartient ! Mais rien ne t'appartient ici. Tu n'es rien sans moi. C'est moi qui a créé le Cabinet Burnstein…

MAMAN : Avec mon héritage !

PAPA : Avec la sueur de mon front. Je t'ai vraiment aimé…je t'ai tout donné… tout ce dont tu souhaitais. Alors pourquoi tu veux maintenant me reprendre la seule véritable chose qui me tient à cœur.

MAMAN : Ed, essaie de comprendre… J'ai besoin d'espace, j'étouffe ici, dans cette maison si grande et si vide.

PAPA : Alors prends des vacances, essaie de réfléchir un peu mieux à la situation. Et penses à notre fille, pour une fois !

MAMAN : Pour une fois ? ! Je n'ai jamais cessé de penser à elle. Tu crois que nos bagarres incessantes ne la traumatise pas à son âge ? Ed, écoute. On n'arrête pas de se disputer ces derniers temps, il faut se rendre à l'évidence. Nous ne sommes pas faits pour continuer à vivre ensemble. On se détruit à petit feu, et on détruit notre fille.

PAPA : Ne me demande pas ça. Non, pas ça. Ne me demande pas de divorcer et de revendre le Cabinet.

MAMAN : C'est la seule solution.

PAPA : C'est une solution trop radicale, et trop rapide.

Soudain Papa s'arrête de parler. Il se retourne et fixe Maman avec un regard très étrange. Sa voix devient plus calme, comme s'il comprenait une évidence qu'il avait toujours refoulé au plus profond de lui.

PAPA : Il y a un autre homme, c'est ça ?

Maman ne répond pas. Elle baisse les yeux.

PAPA : Mon Dieu ! C'est pour ça. C'est pour ça que tu veux détruire notre mariage.

MAMAN (elle élève la voix) : Notre mariage est détruit depuis bien longtemps. Depuis que tu as épousé le Cabinet Burnstein. Depuis ce temps là, je n'existe plus pour toi. Je te sers uniquement de faire-valoir à tes grandes réceptions et tes soirées entre clients.  J'ai besoin d'exister pour autre chose, tu ne peux pas comprendre ça ?

PAPA (qui ne semble plus écouter Maman) : Qui est cet homme ?

Mais Maman ne dit rien. Papa se poste près d'elle et lui secoue les épaules.

PAPA : Tu vas parler ? Qui est cet homme ?

MAMAN : Ca ne te regarde pas. Et lâche-moi, tu me fais mal.

Derrière la porte entrouverte, Kelly aperçoit Papa qui secoue énergiquement Maman. Elle commence à pleurer doucement. Une douleur fulgurante lui transperce le cerveau. Elle ne veut pas que Papa fasse de mal à Maman.

PAPA : Je ne veux pas que tu partes avec cet homme et que tu m'enlèves ma fille.

MAMAN : Ta fille ? Mon pauvre Ed, si tu savais...

Papa lâche Maman.

PAPA : Quoi ?

MAMAN : Rien… rien du tout.   

PAPA : Qu'est-ce que tu me caches encore ?

MAMAN : Rien, je te dis. Maintenant laisse-moi tranquille, je pars faire mes bagages et j'emmène Kelly avec moi.

PAPA : Pas question. Si tu veux partir, tu pars. Mais Kelly reste ici, tu m'entends ?

MAMAN : Ed, essaie d'être raisonnable une fois dans ta vie.

PAPA : C'est ce que je fais. Je ne veux pas que ma fille quitte sa maison pour aller Dieu sait où. Pourquoi je laisserai ma fille avec une mère instable comme toi ?

MAMAN : Parce que ce n'est pas ta fille !

Kelly sursaute car Maman à crié très fort ces paroles. Papa, de son côté, ne bouge plus. Il est en état de choc. Maman se rend compte qu'elle a été un peu loin et se calme.

MAMAN : Je… je ne voulais pas que tu le saches. Je ne voulais pas…

PAPA : Quoi ! J'espère que tu plaisantes. Ca te plait de me faire du mal, n'est-ce pas ?

MAMAN : C'est la vérité. Je t'en prie, ne m'en veux pas.

PAPA : Si tu me racontes la vérité, dis-moi qui est le père.

MAMAN : Tu te souviens du jardinier qu'on avait engagé il y a huit ans ? 

PAPA : Strombaski ? Ce vaurien. Non, ne me dis pas que c'est lui le père de Kelly.

Maman hoche la tête. A ce même moment, Kelly voit son père agripper fortement le cou de sa mère. Il serre… et serre encore… La voix de Maman ne devient plus qu'un râle douloureux. Kelly ne peut pas voir ça… elle ne veut pas voir que Papa fait du mal à Maman. Elle s'enfuit par la grande porte d'entrée et dévale les escaliers.

 

 

 3  à GREAT GARDEN, ENTRéE B. PRèS DU LAC - la nuit du 18 juin 1976

Kelly ne cesse de courir. Elle pense aux paroles de sa mère. Elle connaît bien Monsieur Strombaski. Quand il était jardinier à la maison, il venait voir Maman quand Papa n'était pas là. Et parfois, Kelly aimait se rendre dans la famille de Monsieur Strombaski. Elle aimait bien Jane et sa sœur Samantha avec qui elle passait toujours de bons moments. Maintenant, elle comprend que Jane et Samantha sont ses sœurs.

Kelly empreinte l'allée B de Garden Place. Tout en courant, elle parvient près d'un grand chêne. Elle s'arrête, épuisée par sa course folle, mais qui lui a fait du bien. Elle s'assied près de l'arbre, en tentant de reprendre son souffle.

Soudain, des bruits lui parviennent derrière elle. Des éclats de voix. Elle se retourne et aperçoit Samantha, sa nouvelle sœur, avec un autre garçon qu'elle ne connaît pas. Ils se disputent vivement. Kelly reste prostrée derrière son arbre. Elle n'arrive pas détourner son regard de la scène, mais préfère ne pas bouger. La dispute se fait plus intense. A un certain moment, le garçon veut prendre Jane par la taille, mais elle se débat. Kelly voit que le garçon est méchant, parce que Samantha crie très fort. L'homme continue à tenir Samantha, et tout à coup, elle voit sa sœur projeté dans le lac.

Kelly prend peur. Elle ne sait plus quoi faire. Son mal de tête lui reprend. La première chose à laquelle elle pense est de prévenir Papa et Maman : il sauront quoi faire. Doucement, elle repart vers l'allée B, mais cette fois-ci dans la direction de la sortie et court à nouveau jusqu'à la maison.

  

 4  DE RETOUR à LA MAISON DES BURNSTEIN - la nuit du 18 juin 1976

Kelly ouvre la grande porte d'entrée et se précipite vers le salon, persuadée de trouver son père et sa mère là où elle les avait quitté. Mais le salon est vide. Kelly se dirige vers l'office. Vide. A la cuisine. Vide. Personne n'est dans la maison. Au premier étage, ce n'est pas mieux. Aucune trace de Papa et Maman. Kelly appelle… et appelle à nouveau, mais personne ne répond. Elle court dans sa chambre et s'effondre sur le lit, pleurant toute les larmes de son corps, avant de s'endormir.

  

 5  CIMETIÈRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui

L'esprit de Kelly revient au présent. Le prêtre vient de terminer son allocution.  On va procéder à la mise en terre du cercueil. Menley  fait l'éloge funèbre du défunt. Elle s'avance devant le cercueil. Kelly ne peut réprimer un sourire mauvais, sachant qu'on ne la voit pas sous son voile. Menley ! Toujours prompte à se mêler des affaires des autres. Kelly se dit qu'il faudra  "s'occuper" d'elle assez rapidement. Pourquoi Menley décide-t-elle de faire l'éloge funèbre d'un homme qu'elle connaît à peine puisque ça ne fait que quelques mois qu'elle est à Garden Place ? Kelly se fiche bien de ce que peut raconter Menley, et préfère repenser au passé. Sous son voile, ses yeux exprime de la nostalgie. "Maman, où es-tu ? "

  

 6  MAISON DES BURNSTEIN - début  juillet 1976

Kelly est allongée sur son lit. Elle songe à la poupée qu'elle a cassé le jour où Maman est partie, le jour aussi où le méchant garçon a jeté sa sœur Samantha dans le lac. La porte s'entrouvre lentement et le père de Kelly entre doucement.

PAPA : Ca va ma chérie ?

Kelly hoche la tête, peu convaincante. Puis elle se tourne vers lui.

KELLY : Où est Maman ? Ca fait plusieurs jours qu'elle n'est pas à la maison.

PAPA : Kelly, ma chérie, écoute.  Maman est partie loin. Elle fait un grand voyage.

KELLY : Mais elle reviendra, dis, Papa ?

PAPA : Je ne sais pas. En tout cas pas maintenant.

KELLY :  Je veux savoir où est partie Maman ! Je veux aller la rejoindre.

PAPA : C'est impossible, ma chérie.

Kelly ne peut davantage refouler ses larmes. Elle éclate en sanglot. Papa la prend dans ses bras pour la consoler.

 

 

 7  CIMETIèRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui

Menley termine son éloge et retourne à côté de Frank, Lacey et Gil. Kelly regarde l'assistance pendant un bref instant. Beth est un peu à l'écart, tandis que Mlle Judical se trouve juste à côté de Kelly. Cette dernière sait très bien que sa place n'est pas ici. Mais Mlle Judical a  toujours le souci de s'établir en protectrice. Kelly se lève et s'approche du cercueil sur lequel elle jette un peu de terre.

  

 8  GREAT GARDEN - TERRAIN DE TENNIS - en mai 1990

La motte de terre que Kelly jette sur le cercueil onze ans plus tard se substitue en balle de tennis que rattrape Stuart Farris avec sa raquette. Il renvoie la balle à Kelly Burnstein, 20 ans, qui la lui renvoie à nouveau, mais Stuart la manque, puis il hausse les épaules. Kelly rit.

STUART : Bravo, tu as encore gagné ! Mais tu n'as aucun mérite.

KELLY (faisant mine de s'offusquer) : Comment ça aucun mérite ?

STUART : Je suis beaucoup plus vieux que toi. Je n'ai plus la fougue de mes vingt ans.

KELLY : Nous n'avons que dix ans d'écart.

Kelly et Stuart s'assoient à une table. Kelly attrape la cruche de thé glacé et en sert à Stuart et à elle. Stuart avale le verre de thé d'une seule traite. Il transpire. Kelly le regarde à cet instant. Elle sait qu'elle doit le détester, mais quelque chose au fond d'elle lui dit le contraire. Elle s'aperçoit qu'elle commence à s'attacher à Stuart. Elle l'avait rencontré deux ans plus tôt au cours d'une des réceptions qu'avait donné son père. Stuart avait 28 ans et il était un jeune et brillant avocat. Kelly a tout de suite reconnu le garçon qui avait poussé Samantha dans le lac.

Kelly secoue la tête. Non, elle doit le détester. Il a tué sa sœur, et elle compte bien le lui faire payer un jour où l'autre. Mais elle ignore encore comment elle s'y prendra. Elle a tout son temps, de toute façon. La précipitation n'a jamais été son fort. Et puis, elle avait autre chose à penser en ce moment. Quelque chose qui lui tient à cœur et Stuart pourra peut-être l'aider. Elle se penche vers lui.

KELLY : Stuart, j'aimerais te parler de quelque chose.

STUART : Je t'écoute.

KELLY : Je sais qu'en tant qu'avocat à Sorelman et Associés, tu as beaucoup de… comment dire… de contacts.

STUART : Je ne comprends pas.

KELLY : Je veux dire que tu connais des détectives privés.  

STUART : Oui, bien sûr. Et de très bons. Mais pourquoi cette question ?

KELLY : J'aimerais que tu retrouves ma mère.

Stuart pose son verre et regarde Kelly, sans rien dire.

KELLY : Elle a disparu le soir du  bal de promo en 1976. Depuis, je ne l'ai plus jamais revu.

STUART : Kelly. Ca fait 14 ans ! Ca ne va pas être du gâteau. Et pourquoi tu n'en parle pas à ton père ? Son cabinet possède également de bons détectives.

KELLY : Il se trouve que Papa ne veut pas en entendre parler. Il me dit qu'il faut que j'oublie Maman, qu'elle est partie et qu'elle ne reviendra plus.

Stuart fronce les sourcils.

KELLY : A mon avis, il ne veut pas que je la retrouve.

STUART : Très bien, je vais voir ce que je peux faire. Mais tu sais, ce ne sera pas du gâteau. Je veux dire… je ne te promets pas de la retrouver.

Kelly sourit et embrasse Stuart.

KELLY : Merci !

STUART : Il y a une autre façon avec laquelle tu peux me remercier.

KELLY : Comment ? 

STUART :  En acceptant de m'épouser.

Kelly est interloquée, ne s'attendant pas à cette déclaration. Elle fréquente Stuart depuis deux afin de ne pas le perdre de vue jusqu'au jour où elle se vengera. Kelly réfléchit. D'abord il faut qu'il retrouve sa mère, c'est ce qui est important. Ensuite, si elle l'épouse, elle est sûre de pouvoir le surveiller et de ne jamais perdre sa trace. Elle s'imagine déjà Stuart pris au piège d'une toile d'araignée… et c'est elle l'araignée.  Elle sourit à cette pensée.

KELLY : J'accepte avec joie.

  

 9  CIMETIèRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui

Kelly retourne à sa place, tandis que Mlle Judical se lève et, à son tour, jette une poignée de terre sur le cercueil. Derrière son voile, Kelly fait la moue. C'est le vieux dragon tout craché : il faut toujours qu'elle se mette en valeur, comme si elle faisait partie de la famille.

  

 10  APPARTEMENT DES FARRIS - en octobre 1993

Kelly est sur le pas de la porte. Un sac à provisions dans les mains, elle cherche sa clé lorsque lui parvient, de l'intérieur de l'appartement, des éclats de voix. La voix de son père et celle de Stuart.

PAPA : Une dernière fois : ne vous mêlez pas de cette affaire,  Stuart !

STUART : Sinon ?

PAPA : Sinon je vous vire du Cabinet. Je vous ai engagé uniquement parce que vous êtes marié à ma fille. Mais n'allez pas croire que je vous porte dans mon cœur pour autant.

STUART : Après tout ce que vous venez de me dire, vous vous figurez que je vais me taire ? Et ne rien dire à Kelly ?

PAPA : Pour son bien, oui. Il ne faut pas qu'elle sache.

STUART : Vous êtes un être abjecte, Ed ! Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? Comment ?...

Kelly n'en peut plus. Elle doit savoir ce qu'il en est. Voilà plus de trois ans qu'elle attend que Stuart lui donne des renseignements sur sa mère. Est-ce que cette conversation concernait justement ces recherches ? Elle ouvre la porte et elle a la réponse à sa question rien qu'en voyant l'expression de son père et celle de Stuart.

KELLY : Vous allez finir par me dire ce qui se passe ?

Pendant un très long moment, que Kelly considère comme une éternité, son père et Stuart la regardent, avec une expression de surprise, comme si on avait pris un enfant en flagrant délit de vol. C'est finalement Stuart qui prend la parole.

STUART : Kelly ! Je ne t'attendais pas si tôt.

KELLY : Je vois ça, oui ! Alors, quelqu'un va enfin me dire ce qui se passe ?

PAPA : Kelly, ma chérie. Ton mari et moi discutions d'une affaire du Cabinet et…

KELLY : Ca suffit Papa ! Ne me prends pas pour une idiote. Vous parliez de Maman. Stuart, je veux savoir ce que tu as trouvé. Où est Maman ?

Stuart regarde longuement Kelly, puis le père de Kelly. Il s'approche de sa femme.

STUART : Kelly, je dois te dire…

PAPA (l'interrompant) : Non !

Mais Stuart n'écoute pas. Il continue.

STUART : Ta maman… est morte.

KELLY : Quoi ?

STUART : Elle est morte… (il regarde le père de Kelly) Elle avait une tumeur au cerveau.

Kelly regarde son père et note un soulagement sur son visage, comme s'il s'attendait à ce que Stuart dise autre chose. Kelly ne croit pas à cette version.

KELLY : Non, ce n'est pas vrai ! Je n'en crois pas un mot. Vous me cachez quelque chose, tous les deux. Je le sais.

PAPA : Kelly, je sais que c'est dur, mais…

KELLY : Non ! C'est faux. Maman n'est pas morte, en tout cas pas dans ces conditions. Il y a quelque chose qui cloche. Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant, Papa ?   

Le père de Kelly baisse les yeux.

PAPA : Je voulais t'épargner cette épreuve, étant donné que ta mère n'était plus avec nous depuis longtemps.

KELLY : Non, je suis sûre que ce n'est pas ça. Vous me cachez des choses et je vais découvrir de quoi il s'agit.

Puis elle quitte l'appartement en claquant la porte.

  

 11  CIMETIèRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui

Le cercueil descend en terre. Pendant ce temps, Kelly regarde autour d'elle, surprise de ne pas voir Tim O'Connell et la "Mary Poppins" de Garden Place, Nanne Bolevino.  En revanche, elle aperçoit Beth, un peu à l'écart et rie intérieurement en se remémorant la tête d'ahurie qu'elle avait affiché lorsqu'elle avait retrouvé Kelly dans la pièce aux containers, quelques mois auparavant. Kelly se souvient qu'elle avait eu du mal à contenir un rire. Elle se réjouit soudain de voir qu'elle est une parfaite comédienne. Même avec Menley, au bord du fleuve, lorsqu'elle avait prétendu être enlevé par des extra terrestres.  

  

 12  AÉROPORT DE LOS ANGELES - en octobre 2001

Kelly, assise sur une banquette, attend son vol pour Toronto. Elle regarde son passeport et sourit en voyant le nom de Marie Jo Applegate. Une belle trouvaille, ce nom. Mais elle a dû débourser une somme d'argent considérable pour obtenir ce passeport. C'est un client du Cabinet Burnstein. Stuart l'avait défendu alors qu'il était coupable de détournement de fonds. Un jour, Kelly l'avait surpris au Cabinet en train de voler dans le sac à main de Jenny, la secrétaire. Elle avait promis le silence… en échange du faux passeport. Mais les frais que couvrent une telle opération à de quoi vous mettre sur la paille !

Kelly vient de décider qu'il s'agit probablement là de sa dernière "disparition". Elle commence à se fatiguer de ces voyages. Au début, elle trouvait ça excitant, puis amusant. Mais maintenant, elle n'y prend plus goût. Ce qui l'amusait surtout, c'était son retour à Garden Place et la tête que faisait son entourage lorsqu'elle revenait. Et puis, Kelly se prend tellement au jeu que par certains moments, elle croit vraiment être la victime. Ainsi lorsqu'elle avait vu Stuart avec un grand couteau occupé à dépecer  un lapin, elle avait prit peur pour de bon. Elle avait bien tenté de se raisonner par la suite, mais sur le coup, elle avait vraiment été effrayée.

Pour sa dernière disparition, elle a fait fort : disparaître comme par enchantement dans son appartement, alors que la seule issue était condamnée par une armoire. C'était risqué, mais Kelly se réjouit à l'idée de ce que doivent penser les autres. Extra terrestres ? Paranormal ? Pourtant, Kelly se promet à l'instant même de ne plus réitérer cet exploit : elle a eu très peur lorsqu'elle était sur la corniche, pendant que Stuart, Menley et Frank étaient dans l'appartement.

Une fois à Toronto, elle devra penser à la phase finale de son plan. Elle avait attendu trop longtemps. Jusqu'à présent, elle conservait l'espoir que Stuart lui dise la vérité au sujet de la disparition de sa mère, sachant qu'elle ne pourra soutirer aucune information à son père. Stuart a quelques faiblesses et sa première faiblesse est l'amour qu'il porte à Kelly. Durant tout ce temps, en se faisant passer pour une fille psychologiquement fragile, elle avait espéré que Stuart craque et lui dise tout ce qu'il sait. Elle s'était armé et patience et s'était arrangé pour que sa pseudo fragilité psychologique soit liée à la disparition de sa mère.  Mais Stuart reste définitivement mué à se sujet. Que s'est-il passé cet été 1976 ? 25 ans ! 25 ans que Kelly n'a plus de nouvelles de sa mère. Est-elle réellement morte comme le prétend Stuart ? Si c'est le cas, Kelly est persuadée que ce n'est pas d'une tumeur au cerveau.  Une chose est sûre, Kelly est désormais certaine qu'elle n'apprendra plus rien sur cette affaire. En fait, au fond d'elle, elle connaissait la vérité. Depuis peu, la mémoire lui est revenue. Elle s'est souvenue que, le soir du bal de promo 1976, avant qu'elle ne quitte la maison, les mains de son père avaient serré le cou de sa maman… fort… trop fort. Tout s'était alors éclaircie dans son esprit : il a tué sa mère ! De ce fait, elle en veut encore plus à Stuart de l'avoir protégé.  Il est donc temps maintenant de passer à l'acte.

Une voix annonce l'embarquement du prochain vol pour Toronto. Kelly se lève et se dirige vers la porte d'embarquement. Elle a loué un petit bungalow pour une semaine dans une petite ville proche de Toronto. Elle aura tout le temps de réfléchir à la prochaine mort de Stuart. Elle est déjà certaine d'une chose : il devra mourir à l'endroit même où Samantha, sa demi-sœur, est morte.

  

 13  CIMETIèRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui  

La cérémonie s'achève. Kelly l'a trouvé interminable. Elle n'a qu'une hâte, c'est rentrer chez elle et prendre un bon bain.! Kelly se lève et s'apprête maintenant à une tâche qu'elle répugne : recevoir les condoléances de chacun. Kelly enlève sa voilette et découvre un visage ravagé par le chagrin. Encore un rôle de composition pour elle. Faire croire à tous qu'elle est submergée par la peine.

C'est Menley qui s'avance en premier et qui embrasse Kelly. Menley ! Madame Colombo en personne.

MENLEY : J'organise un petit repas tout à l'heure. J'aimerai que tu te joignes à nous.

Kelly hoche la tête avec un maigre sourire. Essayer de te supporter ne serait-ce que dix minutes me donne envie de vomir… alors toute une soirée !

KELLY : Merci Menley.

Plus tard, elle téléphonera à Menley pour lui dire qu'elle ne se sent pas bien et passera la soirée tranquillement chez elle, à réfléchir à la suite des événements.

Frank arrive à la suite de Menley.

FRANK : Sincères condoléances.

Kelly sourit faiblement. Quel idiot ce type. Le toutou de Menley, toujours derrière elle à ne pas pouvoir lever la patte sans lui demander la permission.

Gil ne dit rien, il se contente d'embrasser Kelly d'un regard compatissant. Ce pauvre garçon est un perdant de première, il n'a même pas été capable de séduire cette petite idiote de Nanne.

Lacey est maintenant devant Kelly. Elle la prend dans ses bras. Il ne faut jamais qu'elle fasse comme tout le monde, celle là. Même un jour d'enterrement, elle n'est pas capable de s'habiller convenablement. Kelly observe avec dégoût la jupe rouge et la chemise verte de Lacey.

Beth, jusqu'à présent à l'écart de l'essaim, arrive et fixe Kelly, sans un mot. Kelly s'amuse en songeant que Beth est la fille que tout le monde déteste. S'ils savaient…

Une fois le rituel des condoléances terminées, Kelly se retourne pour voir le tableau : Mlle Judical entourée des professeurs de l'Unecain. Sa Majesté la Reine des abeilles entourées de ses ouvrières Il est temps pour moi de quitter la ruche et de voler de mes propres ailes.

  

 14  GREAT GARDEN - ENTRéE B - le 24 décembre 2001  

Kelly est en face de Stuart. Elle pointe une arme vers lui, le regard méchant. Elle voit la peur dans le visage de son mari, et ça lui procure une étrange sensation de bien-être. Maintenant qu'elle lui a tout avoué, maintenant qu'il sait tout, il doit mourir.

Un silence, puis Kelly sourit.

KELLY : Adieu Stuart...
 
STUART : Kelly, je t'en prie... NON...
 
Kelly appuie sur la détente. La détonation déchire le silence. La balle touche Stuart en pleine poitrine. Stuart s'écroule...
 
Kelly reste un instant prostrée devant le corps de Stuart, l'arme toujours à la main. Elle se remémore cette nuit de 1976 où Samantha est morte sous ses yeux, poussée dans le lac par Stuart. Elle ressent une profonde sensation de soulagement. Samantha est enfin vengée.
Soudain, le corps entier de Kelly tressaillit. Elle se met sur ses gardes. Elle entend des voix… des voix qui se rapprochent. Elle entend qu'on appelle Stuart, puis elle entend son nom. Elle reconnaît les voix de Menley, Frank et Gil. Elle est soudain prise de panique. Elle tente de se calmer. Réfléchir calmement à la situation. Elle doit faire vite. Elle se précipite au bord du lac et jette le revolver dans l'eau, heureuse d'avoir mis des gants pour effacer les empreintes. Ensuite, elle s'ébouriffe les cheveux, se dirige près de l'arbre. Prenant son courage à deux mains, elle se cogne violemment la tête contre le tronc de l'arbre. Le choc est intense et elle s'écroule.  A demi consciente, elle entend Menley qui arrive près d'elle.
 
MENLEY : Oh mon Dieu, Kelly !
 
Plus loin, elle sait que Frank et Gil sont penchés sur le corps de Stuart.
 
MENLEY : Kelly, tu m'entends ?
 
Kelly émet un faible bruit. Puis elle tente d'articuler :
 
KELLY : Mar… Marie… Jo
 
MENLEY : Où est-elle Kelly ? Où ?
 
Mais Kelly feint l'évanouissement. Elle entend Menley pleurer. Puis soudain… le choc ! La phrase qu'elle ne s'attendait pas à être prononcée… une phrase entière qui anéanti tous les plans qu'elle avait concocté depuis si longtemps. Une phrase prononcée par Gil.
 
GIL : Il respire encore ! Frank, appelle une ambulance.
 
Cette fois, Kelly s'évanouit pour de bon.
 
 
 15  CIMETIÈRE DE GARDEN PLACE - aujourd'hui
 
Vêtue d'une robe noire, une femme se tient près d'un chêne, loin de la cérémonie d'enterrement. Elle ne veut pas qu'on l'a voit. Pas aujourd'hui en tout cas. Emue, elle regarde Kelly recevoir les condoléances de ses proches. Pauvre Kelly ! Perdre son père est une épreuve douloureuse. Non pas qu'elle soit triste de la mort d'Ed Burnstein. Cet homme n'a que ce qu'il mérite. A cet instant, elle ne peut réprimer derrière la voilette qui masque son visage un sourire, soulagée de se sentir enfin libre.
  

 16  à GARDEN HILL, DANS LA CHAMBRE DE JILLIE - aujourd'hui

Jillie est assise sur son lit lorsque la porte s'ouvre. Sonny parvient jusqu'à elle avec un sourire méchant, les mains dans le dos.

SONNY : J'ai trouvé le moyen pour que ta compagne de chambre te laisse tranquille.

Sonny lui montre alors une bouteille rempli de vodka. Jillie tend la main pour attraper la bouteille, mais Sonny l'en empêche.

SONNY : C'est pas pour toi, idiote ! Nous allons cacher cette bouteille dans les affaires personnelles de Jessica Reaset. On procèdera à une fouille et lorsqu'on verra qu'elle s'est remise à boire, elle sera virée. Qu'est-ce que tu en dis ?

Jillie est réticente.

JILLIE : C'est que je ne voudrais pas…

SONNY : C'est la seule solution, ma belle. Alors, tu es avec moi ?

Jillie hésite un instant, puis hoche brièvement la tête. Sonny sourit.

SONNY : Parfait.

Tous deux se dirigent vers l'armoire de Jessica. Sonny l'ouvre et tire une boite en carton relativement grande. La boite contient quelques vêtements froissés. Sonny les retire du carton et soudain, son regard s'arrête sur un objet. Surpris, il le prend dans la main. Jillie, elle, voit autre chose dans le carton qui attire son attention et l'attrape. Sonny et Jillie se regardent, sans comprendre. Sonny a dans la main le corps d'une poupée où il est écrit "Janice" sur le ventre, tandis que Jillie tient la tête de la même poupée.

SONNY : Tiens, tiens… Jessica joue encore à la poupée à son âge…

 

 

 GÉNÉRIQUE DE FIN